Driss en trio...

De bois et de peaux, de cordes et de vibrations.

Entre pincements et frappes passent les frissons de l’oud et des percussions en fusion !

Driss El Maloumi a voulu cette rencontre dans une certaine promiscuité, une intimité qui doit conduire à l’ouverture, à la liberté.

Sachant qu’un homme, comme une culture, n’est jamais fait d’une seule essence, le musicien a rassemblé plusieurs bois, plusieurs peaux tendues, plusieurs sons, plusieurs couleurs. Au centre : l’oud, « le bois » en arabe (al-ud) ; à ses côtés des percussions d’origines diverses. Le musicien est fait de son héritage, sa tradition, mais aussi de son apprentissage par la transmission. C’est en lui comme le cœur au centre de l’arbre, l’essence première. Celle qu’on ne peut nier, qui donne au parfum sa première fragrance, celle qui charpente la ramure et va façonner la généalogie. Mais le musicien est aussi fait de strates successives, comme ces anneaux de l’arbre qui s’enroulent les uns sur les autres au fil des ans, lui donnant son âge par-dessus l’âme. Ces couches se superposent, protégeant le cœur tout en se tournant vers l’extérieur, protégées à leur tour par l’aubier d’abord, l’écorce ensuite. La face visible, la fragilité, le côté qui absorbe, qui se frotte aux autres, et vice-versa. L’écorce reçoit la douceur des brises et la fureur des intempéries, elle voit les jours fondre sous les saisons. Elle prend les marques du temps qui lui-même se traduit intérieurement au contact des battements du cœur.

Driss El Maloumi sait qu’il est fait de cet héritage et de cette perméabilité. Il aime la tradition, sa structure, sa force, sa dignité. Mais il a besoin de laisser son oud assouvir sa gourmandise. Cette nécessité d’aller voir s’il peut vibrer aussi en dehors des empreintes de la tradition. Cette envie de savoir comment il réagira au contact d’un zarb iranien ou d’une percussion venue de Madagascar. Peut-il trouver la liberté de se lâcher tout en respectant tout aussi goulûment ce qui lui fut transmis mais en laissant libre cours aux possibilités des échanges et des aventures. Des aventures déjà riches sur les chemins empruntés par Driss El Maloumi avec Jordi Savall, avec 3MA (Ballaké Sissoko et Rajery), avec Paolo Fresu, Armand Amar, Debashish Bhattacharya, Montserrat Figueiras... Le bagage qu’il a accumulé dans sa pratique de l’oud lui a permis de s’impliquer dans ces rencontres. Aujourd’hui, il désire ramener toutes les épices glanées au fil de ces magnifiques expériences et voir comment l’oud va les diffuser en trio avec l’aide des percussions. Tout en respectant une notion d’espaces. L’album fut enregistré à Agadir parce que c’est le lieu de Driss, celui de son enfance, de sa vie quotidienne, de ses couleurs et de ses influences. C’est là qu’il se sent en un carrefour essentiel entre cultures arabe, amazigh, occidentale et sub-saharienne. En cette partie du Maroc, Driss El Maloumi a façonné sa vie de musicien, il a dressé ses schémas rythmiques, il a compris des langages différents, il a senti des univers qui ne demandent qu’à s’écouter. Il a reçu et il s’est senti prêt à donner. C’est à Agadir que s’associent des espaces différents parce qu’il les a vécus corporellement, historiquement, profondément. Tout y a transpiré en musiques. Et tout ce qui fait un arbre ou un homme s’est mis en place, de l’ossature aux ramifications, des racines au tronc, du cœur à l’écorce, des couleurs aux parfums de la vie, des rencontres aux saisons.

Pour le traduire en musique, il faut oser poser les certitudes de ce qu’on a reçu, prendre du recul, sortir de soi-même pour aller se frotter à d’autres essences. Puis revenir à son héritage personnel, le chérir et lui permettre de prendre son envol par-dessus les préjugés, au-delà des interdits. Et donner à la tradition ce dont elle doit se nourrir pour que, jamais, elle n’oublie sa gourmandise. Pour lui éviter de sécher dans ses structures obligées. Driss El Maloumi fait ce voyage à merveille, depuis longtemps. Et il nous invite, une fois de plus, à le faire avec lui. Dans un projet tout à fait personnel qu’il prend le temps de semer entre les mille activités qui l’appellent au fil de sa belle carrière. Il revient sur sa musique, le temps de ce disque, le temps de voir quelle langue son oud parle en ce moment, quels dialectes il est capable d’aborder. Dans la simplicité, comme le lui a appris son ami et comparse Jordi Savall. Mais dans l’engagement qui est celui d’un homme qui a des responsabilités de musicien mais aussi de directeur du Conservatoire d’Agadir. Un homme qui veut que les musiques, même les traditions millénaires, évoluent sereinement en dehors des discours fondamentalistes de ceux qui préfèrent enfermer ces expressions traditionnelles dans des carcans. Soit une démarche qui n’est jamais facile parce qu’il faut savoir la place que peut prendre chacune des influences extérieures dans sa rencontre avec le savoir traditionnel. Une fois de plus, Driss El Maloumi nous prouve qu’il est possible d’élargir le champ d’expression d’un instrument sans tomber dans la démonstration inutile. Et ses comparses, Lahoucine Baquir et Saïd El Maloumi mais aussi la chanteuse Kalima, sœur de Driss et de Saïd , l’ont compris également en nous donnant une œuvre avant tout profondément humaine et musicale.

Etienne Bours